Le Cames a bouclé, il y a un mois, une semaine d’activités au Sénégal. Dans cet entretien, son Secrétaire général fait le bilan et se prononce sur les réformes en cours dans notre pays.

Pr Mbatchi, le Cames a tenu au Sénégal du 23 novembre au 1er décembre dernier, trois grandes manifestations, on peut dire que vous n’avez pas chômé durant cette semaine ?
Bien évidemment nous n’avons pas chômé et c’est l’occasion de rendre un vibrant hommage aux autorités sénégalaises en commençant par le président Macky Sall qui a donné les moyens au ministre de tutelle pour que nous puissions organiser à Dakar nos différentes activités. Nous avons eu les journées scientifiques du Cames, la cérémonie de réception du président de la République à la dignité de Grand-croix, l’atelier de sensibilisation à l’assurance qualité et nous avons terminé par le colloque sur la reconnaissance et l’équivalence des diplômes.

Pourquoi avez-vous choisi le Sénégal pour abriter tour à tour ces trois activités ?
C’est un concours de calendrier et d’agenda. Cela se trouve que nous avons un programme de rotation établi depuis 2009 au Sénégal lors d’un conseil des ministres et nous avions planifié jusqu’en 2019 cette rotation des programmes du Cames. C’était donc le tour du Sénégal.

Quel bilan tirez-vous de ces trois rencontres ?
Le bilan peut être fait de manière sectorielle ou de manière groupée. De manière générale, nous partons du Sénégal satisfaits et contents car nous avons atteint nos objectifs. Maintenant, de manière sectorielle, nous pouvons dire que nous avons réalisé des progrès. Pour le cas des Journées scientifiques, il faut rappeler qu’elles ont été créées pour promouvoir la recherche. Nous voulons une rupture en matière de comportement. Nous avons en charge la promotion des enseignants et des chercheurs sur la base de l’enseignement et de la recherche mais nous notons que nos enseignants ou nos chercheurs produisent en tenant compte des exigences du Cames. Certes, il faut bien tenir compte des exigences du Cames dans le cadre de sa promotion, mais il faut aller au-delà. Il ne faut pas se limiter, il ne faut pas faire des calculs. Quand on produit, on produit pour le développement. Lorsqu’on fait le bilan, la contribution des pays francophones d’Afrique en matière de productions scientifiques et de connaissances est très faible. Or, le savoir se construit à travers la recherche. Donc nous avons décidé de nous approprier cette problématique. Et pour ce faire, il fallait donner un signal fort et le Conseil des ministres a décidé, en 2013, de créer les journées scientifiques du Cames. Ces Journées constituent une tribune où les chercheurs viennent parer de ce qu’ils ont fait en matière de recherche.

Justement, pour les critères d’avancement, de promotion et de passage de grade en grade, le Cames vient de décider d’augmenter le nombre d’articles à produire par les enseignants. Au Sénégal, certains enseignants ont assimilé cette décision à une volonté de bloquer leur carrière. Pourquoi avez-vous apporté ces modifications ?
Nous ne pouvons pas vouloir du mal à des pairs, nous ne pouvons leur vouloir que du bien. C’est lorsqu’ils seront plus grands qu’ils comprendront que nous leur voulions du bien. Le Cames est une structure qui a été mise en place pour assurer la promotion des enseignants-chercheurs. L’Etat nous a fait confiance. Donc, nous devons lui proposer des enseignants et des chercheurs qui sont capables de soutenir le développement et non des bras cassés. Si nous faisons une sélection à minima, nous porterons, devant l’histoire, la responsabilité d’avoir sélectionné des gens qui ne peuvent pas, comme il se doit, soutenir la compétition mondiale. Nous sommes au 21ème siècle, beaucoup de chose ont évolué, l’environnement de production, de certification tout a évolué, il faut en tenir compte.

Le Plan stratégique du Cames a pour mission de faire en sorte que les enseignants-chercheurs soient au service du développement. Il fallait tenir compte de tout cet environnement pour voir si nos référentiels étaient encore compétitifs. C’est une réflexion que nous menons depuis que je suis là en début août 2011. C’est un travail qui a nécessité beaucoup d’échanges. Malheureusement, l’information ne circule pas suffisamment. Mais depuis trois ans, nous sommes en train de travailler là-dessus. Les comités techniques spécialisés travaillent là-dessus. Ils sont constitués de membres, d’experts venus de tous les pays du Cames. Ils avaient donc la possibilité d’échanger avec les universitaires. Bref, il faut retenir simplement ceci : nous avons voulu changer pour coller à la réalité, pour avoir un référentiel qui permet de protéger davantage la marque Cames, de lui conférer sa respectabilité à travers la qualité des promus qu’un tel référentiel peut permettre.

Lors de la clôture du colloque sur la reconnaissance et l’équivalence de diplômes, vous avez soutenu que la qualité ne se décrète pas, elle se cultive en appelant notamment à a mise en place de structures d’assurance dans les différents pays. Est-ce que le Sénégal qui dispose déjà d’une telle structure, à savoir l’Anaq-Sup, peut constituer une référence en la matière ?
Bien sûr. Il faut dire que la Banque Mondiale avait demandé en 2007 à l’Association des universités africaines (Aua) de faire une évaluation du système éducatif dans l’enseignement supérieur. Et parmi les recommandations que les experts avaient retenues, il y avait la nécessité de mettre en place des mécanismes d’assurance qualité, des structures nationales. On peut se réjouir que le Sénégal ait déjà mis en place cette structure et donc joue le rôle de pionnier en la matière. Effectivement, c’est une expérience qui s’affirme de jour en jour et qui pourrait servir de modèle pour montrer aux uns et autres qui hésiteraient l’importance qu’il y a d’avoir une structure d’assurance qualité.

Le Sénégal a engagé un certain nombre de réformes notamment en ce qui concerne les titres et les grades. Est-ce que vous êtes en phase avec notre pays sur cette question ?
Quand on réfléchit sur la question dans l’ensemble, on peut dire que nous comprenons. Nous sommes en phase dans la mesure où il y a un nom qui est donné au Sénégal et qui, au niveau du Cames, diffère certes mais a une équivalence. Donc pour nous cela ne pose pas de problème. Il faut dire qu’au niveau des appellations, la tutelle au niveau national a pensé qu’elle pouvait résoudre un certain nombre d’aspirations locales. Maintenant, cette décision est une disposition au niveau national qui, au niveau du Cames, s’entend par une certaine équivalence qui ne pose pas de problème. Bref chacun essaie d’atteindre un objectif.

Votre réponse n’est-elle pas une formule diplomatique pour tenter de masquer l’opposition du Cames à cette réforme ?
Nous ne rentrons pas souvent dans les problèmes nationaux, chaque pays est souverain. Nous essayons d’être inclusifs et non exclusifs. Sur le point précis que vous évoquez, je veux dire tout simplement que c’est une disposition qui permet de résoudre un problème au niveau national, on ne peut pas se le cacher. Mais il reste qu’au niveau du Cames, nous savons qu’elle est la correspondance qui existe entre les nouveaux titres qui sont donnés au Sénégal et les titres donnés au Cames. Cela ne pose pas un problème de fond, c’est la forme qui change pour répondre aux exigences nouvelles du moment au Sénégal.

Au-delà des titres et des grades, les réformes engagées concernent également la loi-cadre et la volonté d’une modernisation globale de l’enseignement supérieur. D’ailleurs, cela n’a pas manqué de soulever des vagues chez les syndicalistes. Comment appréciez-vous tous ces changements en cours ?
Je donne un avis et c’est en tant que Pr Bertrand Mbatchi enseignant et non en tant que Secrétaire général du Cames. Je suis là pour traduire les politiques communautaires. Donc là je préfère enlever ma casquette de Secrétaire général et parler en tant que professionnel. Je trouve que le Sénégal est en avance dans le cadre de la modernisation de l’enseignement supérieur et il constitue un exemple à suivre parce que le Plan stratégique de développement du Cames promeut l’utilisation du numérique pour répondre aux problèmes qui se posent à l’heure actuelle. Or, dans ce domaine, on voit tout ce que le ministre est en train de faire à travers l’université virtuelle, les inscriptions et les orientations en ligne des nouveaux bacheliers, la gouvernance. J’avoue que par rapport au Plan stratégique que j’ai la charge de déployer, j’ai moins de crainte d’échec au Sénégal qu’ailleurs. Le Sénégal constitue vraiment pour nous un modèle et c’est pourquoi je disais dans mon discours de clôture que c’était une source de fierté.

Vous avez lancé le Plan stratégique de développement du Cames il y a un an de cela, où en êtes-vous dans sa mise en œuvre ?
Il faut d’abord qu’on clarifie ce qui semble crisper certaines personnes. Le Plan stratégique du Cames concerne toutes les universités et les centres de recherche. Il ne s’agit pas du Cames en terme physique mais du Cames en tant qu’espace. Cela étant, il faut dire que ce plan a été conçu pour augmenter la compétitivité des institutions d’enseignement supérieur de recherche. Il a été structuré autour de sept axes. Il a été évalué globalement à 19 milliards de FCfa. Pour 19 pays, c’est à la fois peu et beaucoup. Il doit s’exécuter de 2015 à 2019. Nous avons un modèle et puisque nous sommes une structure d’harmonisation des politiques, nous voulons que tous les pays progressent de la même manière. Cela veut dire que dans le meilleur des cas, se dire que nous pouvons avoir 19 milliards de FCfa pour mener notre politique. Ce n’est pas évident qu’on puisse l’avoir. Par contre, dans le cadre de partenariats, pas seulement avec les pays du nord, cela peut être aussi avec les pays du sud, on peut imaginer des schémas qui permettraient d’atteindre les mêmes objectifs. En matière d’assurance qualité, cela avance avec des partenaires de pays du nord. On a aussi l’Uemoa et c’est la chance de cette zone. L’Uemoa est dynamique et veut accompagner le Cames en matière d’assurance qualité. Ce qui est sûr, pour les pays de la zone Uemoa, le Plan pourra être exécuté d’autant plus que l’Uemoa s’intéresse aussi au numérique, à la recherche. Nous voulons rentrer dans ce créneau pour que quand l’Uemoa finance, le Cames puisse participer en amenant ses experts et ont mette tout en commun et cela permet d’avancer. Pour les autres pays membres du Cames et qui ne font pas partie de l’Uemoa, on essaie d’avoir des structures équivalentes pour avancer également. J’ai espoir que nous allons arriver à mettre en mouvement ce plan, peut-être pas de manière optimale, mais en tout cas avec les pays et les universités volontaires, nous arriverons à le mettre en œuvre.

Le Cames a décidé de proposer un prix de recherche qui porterait le nom du président Macky Sall. Qu’est-ce qui explique ce choix ?
Il y a plusieurs étapes à valider encore pour que ce prix voie le jour. C’est un projet. Le Cames a lancé l’idée et ce serait souhaitable que le président Macky Sall puisse donner sa caution et son aval. Pourquoi nous avons émis cette idée ? Parce que le président Macky Sall a été sensible à notre plaidoyer. On lui a demandé un soutien financier à notre Plan stratégique, il a donné des instructions pour qu’on mette à notre disposition 500 millions de FCfa. Je me suis rendu compte que ce don arrive au moment où nous tenions les journées scientifiques, au moment où se pose un problème de financement pour la recherche. Comme je ne crois pas au hasard, je me suis dit que c’est un signe des temps et qu’il faut que cet argent-là soit utilisé pour promouvoir la recherche. Nous allons donc monter un référentiel de sélection de projet les plus innovants que pourrait financer ce fonds.

Entretien réalisé par Elhadji Ibrahima THIAM
Le Soleil, 25 janvier 2016